lundi 20 février 2017

Les corps en transe d'Angelica Mesiti et Jeremy Shaw

  La transe.
  Un état qui veut qu'une personne se sente comme transportée hors d'elle même, qui devient indifférente au monde qui l'entoure. Une définition proche de celle de l'extase, qui n'est jamais bien loin.

  La vidéo "Rapture (silent anthem)" de l'artiste australienne Angelica Mesiti présente en gros plan les visages d'un public jeune, visages défilant un à un au ralenti. Un ressort de la vidéo contemporaine qui traduit souvent la captation exacerbée d'une action, d'une émotion, d'une poésie invisible à vitesse réelle. Cet usage est régulièrement associé à un effet mystique (cf. Bill Viola "Five Angels for the Millenium). Un éloge de la lenteur qui nous montre des visages fascinés par quelqu'un ou quelque chose qui reste toujours hors champ. Et que nous n'entendrons jamais puisque le son est absent. Les gros plan utilisés ne facilitent pas la tâche d'identification de l'événement auquel assiste ce public. Un meeting politique? Religieux? Un match de sport? Ils transpirent par une chaleur sourde, hurlent, parlent, tapent des mains, ferment les yeux et s'illuminent devant quelque chose qui les transporte. Il s'agit en réalité de l'idolâtrie contemporaine puisque c'est bien à un concert de rock que les plans on été tournés.
  Cependant, le titre "Rapture (silent anthem)" oriente l'oeuvre dans une interprétation religieuse. "Rapture" en anglais est le ravissement, c'est-à-dire le passage de l'apocalypse sur l'enlèvement de l'église, moment où les croyants sont amenés au ciel à la rencontre du Christ sept années avant son retour définitif sur Terre. L'oeuvre de Mesiti joue donc sur les deux plans, la transcendance des corps étant aussi l'apanage de la musique dansée. Le caractère spirituel de ce travail a été récompensé en 2009 par le Blake Prize for religious art.
  La monstration de la vidéo aide plus ou moins à l'imprégnation du spectateur, à sa projection dans cette ferveur collective. Lors de l'exposition Rebel Rebel au Mac's du Grand Hornu, l'écran était immense, dans le noir et facilitait l'isolation du spectateur. Des dispositifs vidéo taille XXL, qui enveloppent et absorbent physiquement le spectateur rendent l'expérience plus intense. Une solution de facilité peut-être. Pourtant il est des films cinématographiques qui se doivent d'être vécus dans une salle de cinéma, comme d'autres n'en ont aucunement besoin. L'intensité lumineuse d'une salle obscure et le son surround facilite l'expérience égocentrique, que le petit écran en plein jour avec un son minable permet moins. Il en va de même pour certaines oeuvres vidéo.

  D'autres oeuvres de l'artiste tournent autour de la musique: "Citizens Band" (2012) ou encore "Prepared Piano for Movers (Haussmann)" (2012).

Angelica Mesiti, Rapture (Silent Anthem), 2009, 10min 10 sec, HD vidéo


  De son côté, le jeune canadien Jeremy Shaw sur les diverses façons d'accéder à la transe. La religion, les drogues et la danse (liée donc à la musique) sont les trois domaines qui permettent d'accéder à la transcendance. L'artiste préfère user de ce terme. Il expérimente lui-même de façon quasi scientifique comment atteindre des états second (drogue, étranglement), mais filme ou photographie d'autres personnes, pour capter ce moment d'inconscience. La vidéo "Best Minds Part One" fait le même type de lien entre la musique et la transe que Mesiti. Effet de ralenti à l'appui. L'aspect religieux en moins. Shaw est plus attaché au corps entier dansant sur la musique, transporté par celle-ci. Dans "DMT", ce sont des corps sous psychotropes qui sont filmés. Une expérience clinique d'un trip. Les consentants sont habillés de blanc, dans un lit blanc, décor blanc. Les vagues impressions qu'il leur reste après l'expérience sont ajoutées en sous titres. Les visages sont révulsés, entre extase et douleur. La série photographique "Towards Universal Pattern Recognition" traduit quant à elle l'expérience mystique de Dieu.
  L'approche de Shaw est d'être à la recherche de l'altération de la conscience, peu importe les moyens mis en oeuvre.
Jeremy Shaw, DMT, 2004, vidéo